La mort d'une libellule
Anatole France
Sous les branches de saule en la vase baignées
Un peuple impur se tait, glacé dans sa torpeur,
Tandis qu'on voit sur l'eau de grêles araignées
Fuir vers les nymphéas que voile une vapeur.
Mais, planant sur ce monde où la vie apaisée
Dort d'un sommeil sans joie et presque sans réveil,
Des êtres qui ne sont que lumière et rosée
Seuls agitent leur âme éphémère au soleil.
Un jour que je voyais ces sveltes demoiselles,
Comme nous les nommons, orgueil des calmes eaux,
Réjouissant l'air pur de l'éclat de leurs ailes,
Se fuir et se chercher par-dessus les roseaux,
Un enfant, l'oeil en feu, vint jusque dans la vase
Pousser son filet vert à travers les iris,
Sur une libellule ; et le réseau de gaze
Emprisonna le vol de l'insecte surpris.
Le fin corsage vert fut percé d'une épingle ;
Mais la frêle blessée, en un farouche effort,
Se fit jour, et, prenant ce vol strident qui cingle,
Emporta vers les joncs son épingle et sa mort.
Il n'eût pas convenu que sur un liège infâme
Sa beauté s'étalât aux yeux des écoliers :
Elle ouvrit pour mourir ses quatre ailes de flamme,
Et son corps se sécha dans les joncs familiers.
Anatole France
Annick de la Villanelle le 22 Janvier 2023 à 08:40
Lire et relire ce magnifique poème du grand Anatole-France me remplit d'émoi . Un papillon multicolore a élu domicile dans ma chambre à coucher et c'est pourtant l'hiver. Combien de temps pourra t'il vivre encore sans se nourrir du pollen sucré des fleurs ? Finalement, les papillons et autres libellules ne sont pas si éphémères que cela et font des réserves d'énergie sans faire de bruit. Vive le Printemps des Poètes 2022.